Le plus grand succès de Christiane Rochefort, née à Paris, mortedans le Var le 24 avril, à 80 ans, c'est le Repos du guerrier, son premier roman paru chez Grasset en 1958 après deux recueils de nouvelles. Une bourgeoise (interprétée par Brigitte Bardot dans l'adaptation tournée par Roger Vadim en 1962) sort de ses rails en compagnie d'un alcoolique. C'est une somptueuse histoire de cul «que ces crétins ont pris pour un roman d'amour», dira Rochefort ­ une audacieuse doublée d'une râleuse professionnelle ­ à Matthieu Galey. Ce dernier le rapporte dans son Journal, où on peut lire aussi pourquoi, en 1959, au Femina, la duchesse de La Rochefoucauld vote contre: «On ne pouvait pas couronner le livre de Mme Rochefort; c'était répandre le vice au sein des familles.» Les Petits Enfants du siècle, en 1961, est l'autre titre célèbre. Josyane, fille des Cités, fait son éducation sexuelle. Une gouaille trop sophistiquée pour ne pas être un vrai style, un laisser-aller très travaillé de manière à ce que l'écrit retranscrive l'élan de la langue orale, telle est la marque de l'auteur. Josyane: «Mais ce qui me faisait encore plus marrer c'est les bonnes femmes; là je m'en payais; depuis que je me baladais dans une jupe de Prisunic en vichy formidable que j'avais raccourcie au dernier degré de la mode, elles me faisaient une sale bobine.» Lucide, Christiane Rochefort dédicace ainsi son roman au père de Zazie: «A mon cher Raymond Queneau, dont j'ai subi l'influence, mais pas assez.» (1) Les Petits Enfants du siècle est un roman politique: «La petite Josyane, je suis liée à elle, par la compassion si vous voulez. Et je suis aussi derrière elle en train d'essayer les possibilités qu'elle a d'être sauvée. Non, finalement. L'amour(faux, illusoire) aura sa peau. Moi je constate avec tristesse la puissance de l'oppression par l'urbanisme», commente Christiane Rochefort dans Ma vie revue et corrigée par l'auteur (1978, chez Stock, unique infidélité à Grasset).


Le mariage est cloué au pilori dans les Stances à Sophie (1963). Printemps au parking (1969) traite de l'homosexualité masculine. C'est bizarre l'écriture (1970) résume l'aventure d'une vie. Après 1968, date à laquelle elle est virée du Festival de Cannes dont elle était l'attachée de presse, Christiane Rochefort s'essaie à l'utopie: Archaos ou le jardin étincelant (1972). Elle publie Quand tu vas chez les femmes en 1982 (un roman sadomaso assez sibyllin). Et en 1988, elle est enfin récompensée par un prix: le Médicis pour la Porte du fond (sur l'inceste), son dixième roman.


Au fil des ans, elle est partie assez loin, loin de l'establishment littéraire parisien, loin de ses premiers succès considérables et de l'orthodoxie romanesque. Ses deux derniers livres, publiés l'an dernier, Conversations sans paroles et Adieu Andromède, tout petits livres pointus comme elle était elle-même, sont des recueils d'observations intransigeantes, poétiques. Un des textes est dédié à Hans Jonas: «Quand j'apprends que les dernières orchidées sauvages de la plaine des Maures vont disparaître, je souffre. ["] Non, ça n'est pas du "sentiment, comme vous essayez de le faire accroire. C'est que je fais partie de la Nature et quand on m'en enlève un bout, ça fait mal.» Christiane Rochefort était généreuse, mais pas tendre. Elle a eu de l'influence. Mais laquelle?


(1) L'exemplaire, non coupé, figure au catalogue du libraire Sébastien Gryphe, 1, rue Milton, 75009 Paris.
 http://www.liberation.fr/culture/1998/04/27/les-petits-enfants-du-siecle-sont-orphelins-mort-de-l-ecrivain-christiane-rochefort_234022 
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